Page:Garnir - À la Boule plate.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lumière venaient jusqu’à lui, le pénétraient à la façon dont un faisceau de rayons électriques s’enfonce jusqu’au fond de l’eau d’une rivière ; un grand transport muet soulevait alors tout son être vers elle : c’était un don complet de soi-même en même temps qu’un désir, douloureux à crier, de la prendre, de l’étreindre, de la presser contre sa poitrine. Flagothier ne disait rien à personne, ne montrait rien, ne s’avouait rien à soi-même ; il goûtait seulement un bonheur profond quand elle daignait rire à l’une de ses saillies. Quant à Jane, toute sa manière d’accepter et de comprendre la vie mettait entre elle et ce joyeux marchand de cigares un tel espace qu’elle ne s’avisa jamais de remarquer, dans l’attitude d’Odon, ce qu’une femme, dont la curiosité aurait été éveillée, eût pénétré sans effort.

Flagothier comptait, avec une nervosité maladive, le nombre de jours que Jane passerait encore à Bruxelles ; le soir où il apprit que son engagement venait d’être prolongé d’une quinzaine, il en fut d’abord indiciblement heureux ; puis, tout de suite, il s’affligea inexplicablement…

À la Bonne Source, il se montrait maintenant taciturne, inquiet, tyrannique et vindicatif ; il ne touchait plus à son violon ; Rose s’étonnait : pourquoi toujours cette affectation de ne pas entendre quand elle