Page:Garnir - À la Boule plate.djvu/171

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éclat, tandis qu’à l’exaspérer, à s’entêter à lui crier non, elle risquait de débrayer sa brutalité, elle s’exposait à des histoires — qui sait ? à des malheurs véritables ; depuis qu’elle était grande fille, c’est-à-dire du jour où elle avait compris que de sa seule beauté dépendait l’existence de luxe et de caprices qu’elle aimait, elle avait toujours eu la peur folle d’être défigurée ; l’idée d’un coup de revolver, d’une brûlure au visage la hantait comme l’idée de la mort hante certains neurasthéniques et, plus d’une fois, elle avait cédé à des hommes parce qu’elle avait cru lire dans les yeux les pires desseins.

Vers quatre heures, comme elle sortait de chez elle, elle rencontra Flagothier sur le trottoir. Jamais elle ne lui apparut plus jolie : elle avait la taille serrée dans un manteau d’astrakan qui la laissait mince et fine, mettait autour d’elle une odeur fauve et aphrodisiaque ; le visage aux contours fermes, gracieux et volontaires souriait sous la voilette parfumée : c’était toute l’élégance, toute la grâce, tout l’attrait, damnable et exquis, de la courtisane dont la chair précieuse dégage on ne sait quoi de rare, de vicieux et de défendu. Telle, elle incarnait pour lui la magie de l’amour ; il éprouvait une admiration adorante ; il lui faisait, honteux du peu de son offrande, le don de lui-même. Elle aussi le regardait, le détaillait,