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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/106

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AUTOUR DU SOFA.

ne peut pas connaître au juste la forme du nez par un portrait vu de face ; toutefois les narines étaient nettement coupées et largement ouvertes ; je ne crois pas que le nez fût joli ; mais la bouche avait un caractère tout spécial, qui eût racheté n’importe quel visage. Cette bouche était grande, les coins s’enfonçaient profondément dans les joues ; la lèvre supérieure, très-arquée, se fermait à peine sur les dents, et paraissait vivante. On eût dit, à en juger par le sérieux du regard et l’intelligence de cette bouche pleine de douceur, que la personne représentée dans ce portrait, attentive à je ne sais quel discours, avait une réponse toute prête qui allait tomber de ses lèvres, et l’on éprouvait le besoin de savoir ce qu’elle allait dire.

Virginie de Courcy demeurait donc chez Mme Babette, qui tenait un hôtel borgne dans la partie nord de la ville. Cette espèce d’auberge était fréquentée avant la révolution par des fermiers, des campagnards venant surtout de la Bretagne, et qui, à l’époque dont il s’agit, n’avaient plus rien à voir avec les Parisiens ; il en résulta que le maître de l’hôtellerie, ne faisant plus ses affaires, avait cédé la maison au frère de Mme Babette, en payement d’une somme qu’il devait à ce dernier ; celui-ci avait confié l’auberge à sa sœur, qui en gardait la porte conjointement avec son garçon, un marmouset d’environ douze ou treize ans.

C’était Mme Babette qui avait averti le comte de Courcy du danger qui le menaçait ; mais le pauvre fou ne voulut jamais croire qu’il y eût, parmi les membres de sa chère race humaine, quelqu’un d’assez méchant pour lui faire le moindre mal. La confiance de son père rassurait Virginie ; il fallut que Mme Babette employât la ruse pour attirer la jeune fille chez elle, le jour même où le pauvre comte fut mis à la lanterne.