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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/110

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AUTOUR DU SOFA.

craignit d’abord pour les écus dont la concierge était dépositaire ; cependant, il ne manquait pas un denier, lorsque, dans la soirée du jour suivant, Jean Morin vint arrêter ses comptes. L’opération terminée, Mme Babette, qui avait eu soin de barrer la porte du couloir, afin d’empêcher Mlle Canne de se retirer dans sa chambre, pria son neveu de leur tenir compagnie. La jeune fille travaillait en silence, Morin fils et la portière jasaient tous deux tranquillement, quand une voix de ténor, pleine de charme et de distinction, chanta auprès de la fenêtre l’un des airs les plus expressifs des Noces de Figaro. Les deux causeurs suspendirent leur entretien, et le reprirent quelques instants après, sans ajouter d’importance à cet incident ; mais l’intérêt avec lequel Virginie avait écouté la voix qui venait de se faire entendre n’avait pas échappé au petit Pierre ; lorsque le lendemain, à la même heure, la sérénade de la veille se renouvela, il courut à la porte de l’hôtel, qu’il ouvrit avec précipitation ; la rue était déserte, on n’y voyait que le Normand, dont la main était posée sur le cordon de la sonnette. Celui-ci rentrait pour se coucher ; qu’y avait-il de plus simple ? Toutefois, le lendemain matin, notre paysan vint frapper à la porte de la loge, et pria M. Pierre de vouloir bien accepter deux boucles en argent qu’il se permettait de lui offrir. Pierre, en sa qualité de Français, avait le goût de la parure et fut enchanté du cadeau ; il s’empressa d’attacher ses boucles aux genoux de sa culotte, et le Normand, qui semblait prendre plaisir à l’ardeur qu’il déployait dans cette opération, lui dit en élevant la voix :

« Prenez garde, mon ami, de trop aimer la toilette ; un jour, dans quelques années d’ici, lorsque vous offririez votre cœur à la jeune demoiselle qui vous ferait perdre la raison, elle pourrait bien vous répondre : « Nenni, vraiment ; lorsque je me marierai, ce sera pour prendre