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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/116

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AUTOUR DU SOFA.

pas l’obligation de découvrir quelle était la nouvelle connaissance que Mlle Canne avait faite. On était si souvent dénoncé par de prétendus amis ! Vous voyez qu’il arrivait au même but en obéissant à ce qu’il croyait être son devoir, qu’en suivant la route que lui avait indiquée l’intérêt. Nous sommes presque tous ainsi ; quand une chose nous convient, il n’est pas d’argument que nous ne sachions trouver pour faire capituler notre conscience.

Quelques jours après la vente de la bague, Pierre avait si bien guetté Virginie, qu’il savait, à n’en pas douter, que l’inconnu qui donnait des rendez-vous à la jeune fille était le fermier normand, sous différents costumes. Quelle nouvelle importante à confier à Jean Morin ! Mais Pierre ne s’attendait pas à l’effet que cette révélation produisit instantanément sur le pauvre amoureux. L’idée ne vint pas à celui-ci que l’individu en question pût être un parent de Mlle Canne, ou tout au moins une ancienne connaissance ; il ne vit qu’une chose dans le fait que lui apprenait Pierre : son idole était en relation avec un homme, jeune et beau, dont elle était nécessairement aimée. Autant que je puis le croire, d’après ce que m’en a dit le fils de Mme Babette, Morin était l’un de ces hommes passionnés chez qui l’amour absorbe tous les autres sentiments, et dont la vie se concentre sur un seul objet. Peu démonstratif, malgré la violence de son affection, il était d’une jalousie ottomane ; il eût fait tout au monde pour satisfaire les désirs de Virginie ; il aurait battu monnaie avec son sang pour l’entourer de luxe, et eût été l’esclave de ses moindres caprices, mais à condition qu’elle n’eût respiré que pour lui. Ainsi que me le disait Pierre, il aurait étranglé un oiseau, si la pauvre créature avait attiré les regards de la femme qu’il aimait.

Aux premières paroles de son cousin, Jean était resté