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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/117

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LADY LUDLOW.

foudroyé. La rencontre de Mlle Canne et du Normand n’était pas accidentelle ; Pierre le torturait en lui faisant part de ses découvertes. « Chaque matin, disait le petit garçon, Mlle Canne se promène et le rencontre ; ils ne se voient qu’un instant, mais tous les jours, et quelquefois matin et soir.

— Tous les jours ! reprit Morin d’une voix étranglée, tous les jours elle lui parle, et c’est tout au plus si j’obtiens qu’elle me réponde ! »

Pierre fut si effrayé de la pâleur de Morin, de ses yeux hagards, de ses mouvements convulsifs, qu’il se précipita dans un cabaret du voisinage et en rapporta un verre d’absinthe qui fut payé sur la pièce de cinq francs que lui avait donnée Virginie. Morin finit par recouvrer son sang-froid, mais il resta d’humeur sombre, et il fut impossible à Pierre d’en arracher un mot, si ce n’est toutefois que le Normand devait être prié d’aller coucher ailleurs, et ne pas remettre les pieds à l’hôtel Duguesclin. Il était trop absorbé dans ses réflexions pour songer à rendre les cinquante centimes qu’avait coûtés le verre d’absinthe ; et Pierre, à qui cet oubli fut sensible, porta cette faute de Morin à l’avoir de Mlle Canne. Le fils de dame Babette était, en outre, fort désappointé de l’accueil qui avait était fait à sa révélation ; il s’attendait à recevoir encore cinq francs, ou tout au moins confidence pour confidence ; et il en voulut tellement à l’amoureux, qu’en entendant soupirer Virginie, à l’heure où le Normand rentrait chaque soir, il fut sur le point de tout raconter à la jeune fille, et l’aurait fait certainement, s’il n’avait eu peur de dame Babette ; il fallait que celle-ci fût bien dévouée à Jean Morin pour avoir congédié le beau Normand, l’un des locataires les plus généreux et les plus polis qu’elle eût jamais hébergés.

Toutefois la semaine ne s’était pas écoulée que Pierre