Aller au contenu

Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/127

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
LADY LUDLOW.

de larmes chaque fois qu’il venait à surprendre dans le regard de Virginie la répulsion dont il était l’objet.

Pierre, qui m’a raconté ces détails, et dont je me rappelle encore les paroles, ne savait rien de ce qui s’était passé ; il n’osait pas rompre le silence, et attendait que sa mère questionnât son cousin ; mais dame Babette avait peur de ce qu’aurait pu dire son neveu. Toutefois, lorsqu’à deux reprises différentes elle eut assuré que Mlle Canne était profondément endormie :

« C’est bien dur ! soupira Jean Morin, bien cruel, poursuivit-il, d’aimer une femme autant que cela. Ce n’est pas ma faute ; je n’ai pas cherché à l’aimer ; j’étais pris avant d’en rien savoir ; je ne m’en doutais pas, que je la préférais à tout le monde ; elle a effacé tout ce qu’il y avait dans ma vie avant que je l’eusse connue ; je ne sais plus rien du passé ; je ne me soucie pas du présent ; et ne vois que deux choses dans l’avenir : l’aurai-je, ou ne l’aurai-je pas ? Comment faire pour qu’elle m’accepte un jour ? Oh ! ma tante, dites-le-moi, » s’écria-t-il en prenant le bras de Mme Babette, qui répondit tout effrayée :

« Mon pauvre Jean, il y a d’autres femmes sur la terre.

— Pas pour moi, dit-il en retombant sur sa chaise d’un air désespéré ; je suis un homme rude, non pas un de ces petits maîtres parfumés comme les aristocrates ; je suis laid, brutal, vous pouvez en convenir ; ce n’est pas ma faute, non plus que de l’aimer comme je l’aime ; c’est mon sort. Dois-je en accepter les conséquences ? Non, non ; ma volonté n’est pas moins forte que mon amour ; tante Babette, il faut me venir en aide, et lui dire de m’aimer.

— Moi ! s’écria dame Babette ; y penses-tu ? Je veux bien parler pour toi à Mlle Lesage, à Mlle Maçon ou à