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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/232

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AUTOUR DU SOFA.

Lorsque ses récoltes avaient manqué, tout le monde en avait été instruit ; il s’était plaint, s’était mis en colère, s’était accusé de sottise, d’ignorance, de folie, s’était donné à tous les diables en descendant la rue du village. Il en résultait que, bien qu’il fût beaucoup plus emporté que M. Horner, les paysans et les fermiers le préféraient infiniment à celui-ci. La foule, en général, s’intéresse bien plus à celui dont les mouvements de l’esprit et du cœur lui sont découverts qu’à l’homme réservé, qui ne trahit ses sentiments que par ses actes.

Au milieu de la popularité dont jouissait le capitaine James, Henry Gregsone n’en restait pas moins fidèle à la mémoire de M. Horner, et fuyait en boitant la présence du nouveau venu, comme si l’acceptation des bonnes paroles que lui adressait l’officier de marine avaient été de sa part une trahison envers son bienfaiteur. Mais le père Gregsone et le capitaine s’accordaient tellement bien que j’appris un jour, à ma très-grande surprise, que ce braconnier, ce vagabond, ce gibier de potence venait d’être nommé garde-chasse de la terre d’Hanbury !

M. Gray s’était fait en quelque sorte le garant de sa parole, il avait affirmé qu’on pouvait se fier à lui ; je crois que c’était seulement une expérience, mais elle réussit comme tous les traits d’audace que faisait le jeune ministre…

Il était curieux de voir M. Gray devenir dans le village une espèce d’autocrate sans qu’il en eût conscience. C’était toujours le même jeune homme, aussi timide, aussi nerveux qu’autrefois ; mais dès qu’il avait la conviction qu’une chose était juste, il fermait les yeux et courait tête baissée vers le but qu’il se proposait d’atteindre, ainsi qu’eût fait un bélier, suivant l’expression du capitaine. On l’avait vu se rendre au milieu d’une troupe de braconniers, réunis pour une entreprise nocturne, et ré-