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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/240

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AUTOUR DU SOFA.

tence, je me mis à regretter les instants que j’avais passés à Hanbury, où j’étais arrivée bien jeune et que je quittais vieillie par mon infirmité. Je ne devais plus revoir ni cette demeure, où j’avais été reçue comme une fille, ni celle qui m’en avait rendu le séjour si agréable. Comme un débris emporté par les flots, je me suis éloignée de ces jours paisibles dont, au moment du départ, je me rappelais les moindres incidents.

Je pensais à ce bon M. Montfort, à son chagrin de ne plus avoir de meute, à sa gaieté, à son amour de la bonne chère. Je me souvenais de l’arrivée de M. Gray, des tentatives de milady pour interrompre son sermon, lorsqu’il parlait d’instruire le peuple ; et maintenant il y avait une école dans le village ; mieux encore, le jour où miss Bessy était venue prendre le thé au château, milady était allée deux fois à la maison d’école, afin de donner ses instructions relativement à du fil qu’elle avait commandé pour en faire du linge de table.

M. Horner était mort, et c’était le capitaine James qui le remplaçait comme régisseur. Pauvre M. Horner, si calme, si réservé ! Je le vois encore avec son habit tabac d’Espagne et ses boucles d’argent à la jarretière. Je me suis souvent demandé quels étaient ceux dont l’absence nous laissait le plus grand vide : est-ce l’individu plein de vie et de passion qui va et vient continuellement, et dont le souvenir semble incompatible avec le silence du tombeau, ou la personne lente et grave dont les mouvements et les paroles avaient la régularité d’une horloge, qui, lorsqu’elle était ici-bas, nous semblait étrangère à la vie, et qui à son départ nous prouve que ses allures méthodiques formaient une partie essentielle de notre existence ? Je crois que ce sont les gens de cette dernière espèce qui manquent le plus à notre vie quotidienne, bien que nous leur préférions les autres.