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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/283

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LA DESTINÉE DES GRIFFITH.

ou le rapportait doucement au vieux manoir ; puis ils mangeaient ensemble, et veillaient l’un près de l’autre, jusqu’à une heure parfois très-avancée. Tout cela n’avait pas détruit chez Owen les bonnes qualités qu’il avait reçues de la nature ; mais il était sombre et malheureux ; sa physionomie avait quelque chose de pensif qui n’était pas de son âge ; et l’intérêt qu’il prenait aux études de son père avait développé son intelligence d’une façon maladive.

Sir Griffith n’ignorait pas la prophétie d’Owen Glendower, et savait bien qu’il représentait la génération en qui elle devait s’accomplir. Il en riait quelquefois, lorsque par hasard il était avec ses connaissances, mais au fond du cœur il en était plus vivement ému qu’il ne se plaisait à le reconnaître. D’une imagination exaltée qui le prédisposait à croire au merveilleux, Robert n’avait pas assez de force morale pour réagir contre cette tendance naturelle, et pour écarter le sujet pénible qui le préoccupait de plus en plus ; il attachait sur la figure de son fils des yeux remplis d’amour, qui semblaient vouloir interroger l’enfant, et il le regardait ainsi jusqu’à ce que la légende, finissant par le dominer, lui causât une souffrance trop vive pour qu’il pût la concentrer en lui-même. D’ailleurs l’amour passionné qu’il ressentait pour Owen avait plus besoin d’épanchement que de tendresse, et lui faisait trouver un plaisir mêlé de crainte à reprocher à son fils la douleur que lui causait cette prédiction fatale. Sir Griffith raconta donc la légende au petit Owen tandis qu’ils erraient dans les bruyères, par un de ces jours d’automne qui sont les plus tristes de l’année ; puis il la répéta un soir d&ns la grande pièce lambrissée de chêne, où les antiquités mystérieuses qui s’y trouvaient réunies prenaient des formes étranges à la lueur inconstante du foyer.