Aller au contenu

Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
327
LES DEUX FRÈRES.

un sourire à dater du moment où elle avait promis à William de l’épouser. Quel que fût l’amour que cette dernière éprouvât pour Grégoire avant cette époque, elle parut l’aimer davantage, et ne cessait de lui parler quand elle était seule avec lui, bien qu’il fût trop jeune pour la comprendre et pour la consoler, si ce n’est par ses caresses.

Enfin, le jour du mariage arriva, et ma mère fut installée dans une maison bien meublée, bien fournie de linge, et qui n’était qu’à une demi-heure de marche de l’endroit où demeurait ma tante. Je crois qu’elle fit tout son possible pour se rendre agréable à son mari ; jamais on n’a vu de femme plus soumise, ai-je souvent entendu dire à mon père ; mais elle ne l’aimait pas, et il s’en aperçut bientôt. Peut-être l’aurait-elle aimé plus tard, s’il avait eu la patience d’attendre ; mais il s’irrita en voyant s’animer la figure de sa femme dès qu’arrivait Grégoire, à qui elle prodiguait les caresses, tandis qu’elle ne trouvait pour lui que des regards et des paroles d’une froideur désespérante. Il finit par le lui reprocher avec amertume, comme si c’était le moyen de lui inspirer de l’amour, et par détester le petit Grégoire, tant il était jaloux de cette tendresse qui débordait du cœur de la pauvre mère à la vue de son enfant. Il aurait voulu que sa femme l’aimât davantage ; personne ne pouvait l’en blâmer ; mais il désirait qu’elle eût moins d’affection pour son fils, et voilà qui était coupable.

Un jour, il s’emporta contre Grégoire, à propos de l’une de ces peccadilles que font tous les enfants ; ma mère crut devoir excuser son fils ; et mon père lui répondit qu’il était déjà bien assez dur d’avoir à élever l’enfant d’un autre, sans encore être obligé de souffrir qu’on encourageât celui-ci à persévérer dans ses défauts ; d’ailleurs il avait, disait-il, le droit d’exiger que sa femme fût toujours de l’opinion qu’il avait émise.