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Page:Gaskell - Autour du sofa.djvu/50

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AUTOUR DU SOFA.

Le jour dont il est question, Sa Seigneurie avait l’esprit trop occupé pour s’intéresser à la route que suivait la voiture, et le cocher nous conduisit à sa guise. Nous gardions le silence, car milady ne parlait pas et avait l’air très-sérieux. Généralement, au contraire, elle savait nous rendre ces promenades fort agréables (du moins à celles qui pouvaient aller à reculons sans avoir de nausées), en nous racontant ce qui lui était arrivé autrefois, ce qu’elle avait vu à Paris et à Versailles, où elle était allée dans sa jeunesse, à Windsor, à Kew, à Weymouth, où elle avait accompagné la reine quand elle était fille d’honneur ; mais ce jour là Sa Seigneurie conserva un silence absolu. Tout à coup cependant elle mit la tête à la portière.

« John ! dit-elle en s’adressant au valet de pied, où sommes-nous ? Je ne me trompe pas, ce sont bien les communaux d’Haremane.

— Oui, madame, » répondit John, qui, debout auprès du carrosse, attendait les ordres de sa maîtresse. Milady sembla réfléchir un instant, puis elle dit à John de baisser le marchepied, et descendit de voiture. Nous la vîmes choisir avec soin les endroits où elle pût mettre la pointe de son petit soulier à talon, au milieu des flaques d’eau épaisse et jaune qui parsemaient la plaine ; John la suivait à quelques pas d’un air majestueux et préoccupé, tant il redoutait pour ses bas d’un blanc pur, cette boue liquide dont il lui fallait suivre les bords. Milady se retourna brusquement, lui adressa la parole, et il revint de notre côté, d’un air à la fois surpris et mécontent.

Sa Seigneurie continua de se diriger vers un groupe de chaumières situées à la partie supérieure des communaux, bâties, comme on le faisait parfois à cette époque, avec de la terre et des branches, et couvertes de gazon.