Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/84

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de l’auberge n’avait pas manqué d’attirer la jeune fille dans la salle de bal, où lui avait été fait un accueil trop familièrement enthousiaste. Cet incident et les propos qui s’en étaient suivis, — bien que Sylvia ne fût pas restée plus d’un quart d’heure parmi les danseurs, dont le libre langage l’avait sur-le-champ effarouchée, — devaient produire et produisirent en effet sur la fermière une impression des plus vives. Apprendre qu’on « jasait » sur le compte de sa fille était pour elle un vrai crève-cœur, sans parler des autres inconvénients plus ou moins graves que pouvaient avoir les démarches inconséquentes du vieux Robson. Toutefois il ne fallait pas songer à réprimander le maître du logis ou à lui tracer une autre ligne de conduite, les coqs de ce temps-là ne souffrant guère que les poules chantassent devant eux. Mais lorsque, l’heure du départ venue, Philip reprit la route de Monkshaven, elle l’accompagna jusqu’au delà de la porte, et après lui avoir souhaité le bonsoir d’un ton plus ému qu’à l’ordinaire :

« Mon garçon, ajouta-t-elle, je t’ai dû mainte et mainte consolation, et me suis habituée à te considérer comme un fils. Je te charge donc de veiller sur notre fillette : elle n’a pas de frère, pour la guider en bien des circonstances où les conseils d’un frère sont indispensables… Mais si tu veux avoir l’œil sur elle, sur ses accointances et ses hantises, cela me donnera beaucoup de repos. »

Le cœur de Philip battait fort vite, mais sa voix était aussi calme que jamais quand il répondit à sa tante :

« Il faudrait, je crois, disait-il, la tenir un peu à l’écart des gens de Monkshaven… On pense d’autant mieux d’une jeune fille, qu’elle est plus avare de se montrer… Je verrai qui elle fréquente, et prendrai soin de l’avertir s’il y avait quelque chose à dire de ce côté. »

Ce soir-là, Philip franchit les deux milles qui le séparaient de sa demeure avec une joie que chacun de ses