Page:Gaskell - Les Amoureux de Sylvia.djvu/86

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’abstenait soigneusement de manifester la moindre fatigue ou le moindre ennui. Mais le mari de ses rêves différait de Philip à tous égards, et jamais leurs deux images ne se confondaient dans son esprit. Pour Philip, au contraire, elle était la seule femme de ce bas monde, et il employait toute sa force d’esprit à s’abstenir des réflexions qui lui auraient démontré qu’elle n’était pas faite pour lui, qu’elle ne devait jamais lui appartenir, et qu’il perdait son temps, sa vie, à la placer ainsi, chimérique idole, dans le plus intime sanctuaire de son cœur. Élevé dans les austères doctrines des Quakers, il entendait bien s’interdire cet esprit de personnalité dont ils se méfient avant tout. Mais la prière passionnée qui s’élevait à chaque instant de son âme : « Donnez-moi Sylvia si vous voulez que je vive ! » qu’avait-elle de commun avec la renonciation prescrite par les dogmes de sa secte ? Il n’en fallait pas moins reconnaître chez lui un de ces amours constants et rares dont l’essence est un dévouement absolu. Les espérances que lui faisaient concevoir ses progrès dans l’affection de Sylvia n’étaient mêlées d’aucun calcul sordide. Il comptait bien, au contraire, en l’épousant, la placer dans une situation très-supérieure à celle où il la prenait. Les frères Foster, en effet, songeaient à se retirer des affaires, et leur intention était de se défaire de leur magasin en faveur de leurs deux commis principaux, Philip Hepburn et William Coulson. Rien de tout cela n’avait été dit expressément, mais, depuis plusieurs mois, quelques paroles saisies au vol, une suite de démarches tendant toutes au même but, ne permettaient pas aux deux jeunes gens d’ignorer le projet lentement conçu par leurs patrons. Coulson, à ce sujet, en savait tout aussi long qu’Hepburn ; toutefois les traditions de contrôle sévère qui régnaient alors parmi les membres de la secte des Amis les empêchaient d’échanger la moindre parole sur ce sujet dé-