18 REGARDEZ MAIS NE TOUCHEZ PAS. DONA BEATRIX. Je suis d’une impatience ! LA REINE. Remettez-vous, chère Béatrix !... il y a une bonne lieue espa- gnole des pavillons de la halte en chasse au château d’Aran- juez. GRISELDA, venant sur le devant du théâtre. Et Dieu sait qu’une lieue espagnole est capable de lasser ta pa- tience et les jambes d’un saint. LA REINE. Soyez sans crainte... j’ai confié cette mission délicate à mon page fidèle Hilario. GRISELDA. Je le connais... il est fin comme l'ambre... et ce qui me rassure encore c’est la bêtise de l'alguazil Martinez. Quand il pour- suit les autres, c’est lui qu’on attrape. .. Et il n’aura pas la main assez malheureuse pour arrêter notre héros. DONA BÉATRIX. Qu’il me tarde de le voir ! notre rencontre dans le bois a été si brusquement interrompue par l’arrivée de l’escorte de Votre Ma- jesté... nous ne savons même pas son nom. GRISELDA. Rassurez- vous... je gagerais que c’est au moins un Médina-Cœli, ou un Sotomayor. Vous êtes bienheureuse , Dona Béatrix ! Moi, je meurs d’envie d’épouser un noble ! j’ai l’amour-propre de ne pas me croire un morceau de roturier !... BÉATRIX. Folle ! je commence à entrevoir bien des obstacles à notre union... d’abord, ce jeune cavalier paraît déjà en proie à une pas- sion profonde et mystérieuse. Et puis, c’est en vain que déjà Sa Ma- jesté a sollicité sa grâce. LA REINE. Oui, ce que j’avais prévu est arrivé... tout à coup Alberoni est venu opposer son influence à la mienne. GRISELDA. Maudit Italien !... Ah ! si au lieu d’une cornette de suivante, je portais la couronne d’une reine... je sais ce que je ferais... LA REINE. Que ferais-tu ? GRISELDA. J’entreprendrais de casser Alberoni... et j’en montrerais les mor- ceaux à l’Europe ! BÉATRIX. Griselda a raison... pourquoi Votre Majesté se laisserait-elle do- miner par un aventurier, un parvenu ?
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