Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/180

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assis sur le bordage d’une barque échouée, chantaient l’air de Lucie ou la romance populaire alors en vogue : « Ti voglio ben’ assai, » d’une voix qu’auraient enviée bien des ténors payés cent mille francs. Naples se couche tard, comme toutes les villes méridionales ; cependant les fenêtres s’éteignaient peu à peu, et les seuls bureaux de loterie, avec leurs guirlandes de papier de couleur, leurs numéros favoris et leur éclairage scintillant, étaient ouverts encore, prêts à recevoir l’argent des joueurs capricieux que la fantaisie de mettre quelques carlins ou quelques ducats sur un chiffre rêvé pouvait prendre en rentrant chez eux.

Paul se mit au lit, tira sur lui les rideaux de gaze de la moustiquaire, et ne tarda pas à s’endormir. Ainsi que cela arrive aux voyageurs après une traversée, sa couche, quoique immobile, lui semblait tanguer et rouler, comme si l’hôtel de Rome eût été le Léopold. Cette impression lui fit rêver qu’il était encore en mer et qu’il voyait, sur le môle, Alicia très pâle, à côté de son oncle cramoisi, et qui lui faisait signe de la main de ne pas aborder ; le visage de la jeune fille exprimait une douleur profonde, et en le repoussant elle paraissait obéir contre son gré à une fatalité impérieuse.

Ce songe, qui prenait d’images toutes récentes une réalité extrême, chagrina le dormeur au point de l’éveiller, et il fut heureux de se