Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/257

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dont le souffle fît pencher cette fleur divine, je t’étranglerais de mes propres mains. Nancy ne subissait le regard d’aucun jettatore, et elle est morte. — Si Alicia mourait ! Non, cela n’est pas possible. Je n’ai rien fait à Dieu pour qu’il me réserve cette affreuse douleur. Quand cela arrivera, il y aura longtemps que je dormirai sous ma pierre avec le Sacred to the memory of sir Joshua Ward, à l’ombre de mon clocher natal. C’est elle qui viendra pleurer et prier sur la pierre grise pour le vieux commodore… Je ne sais ce que j’ai, mais je suis mélancolique et funèbre en diable ce matin ! »

Pour dissiper ces idées noires, le commodore ajouta un peu de rhum de la Jamaïque au thé refroidi dans sa tasse, et se fit apporter son hooka, distraction innocente qu’il ne se permettait qu’en l’absence d’Alicia, dont la délicatesse eût pu être offusquée même par cette fumée légère mêlée de parfums.

Il avait déjà fait bouillonner l’eau aromatisée du récipient et chassé devant lui quelques nuages bleuâtres, lorsque Vicè parut annonçant le comte Altavilla.

« Sir Joshua, dit le comte après les premières civilités, avez-vous réfléchi à la demande que je vous ai faite l’autre jour ?

— J’y ai réfléchi, reprit le commodore ; mais, vous le savez, M. Paul d’Aspremont a ma parole.