Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/271

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— Oh ! ce n’est rien, un peu de fatigue seulement : il a fait siroco hier, et ce vent d’Afrique m’accable : mais vous verrez comme je me porterai bien dans notre cottage du Lincolnshire ! Maintenant que je suis forte, nous ramerons chacun notre tour sur l’étang ! »

En disant ces mots, elle ne put comprimer tout à fait une petite toux convulsive.

M. d’Aspremont pâlit et détourna les yeux.

Le silence régna quelques minutes dans la chambre.

« Paul, je ne vous ai jamais rien donné, reprit Alicia en ôtant de son doigt déjà maigri une bague d’or toute simple ; prenez cet anneau, et portez-le en souvenir de moi ; vous pourrez peut-être le mettre, car vous avez une main de femme ; — adieu ! je me sens lasse et je voudrais essayer de dormir ; venez me voir demain. »

Paul se retira navré ; les efforts d’Alicia pour cacher sa souffrance avaient été inutiles ; il aimait éperdument miss Ward, et il la tuait ! cette bague qu’elle venait de lui donner, n’était-ce pas un anneau de fiançailles pour l’autre vie ?

Il errait sur le rivage à demi fou, rêvant de fuir, de s’aller jeter dans un couvent de trappistes et d’y attendre la mort assis sur son cercueil, sans jamais relever le capuchon de son froc. Il se trouvait ingrat et lâche de ne pas sacrifier son amour et d’abuser ainsi de l’héroïsme d’Alicia : car elle n’ignorait rien, elle savait qu’il