Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 1.djvu/294

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fusément quelque tentative ténébreuse, quelque lutte horrible et désespérée où M. d’Aspremont devait se trouver mêlé volontairement ou involontairement. Quant à Vicè, elle n’hésitait pas à attribuer la mort du comte au vilain jettatore, et en cela sa haine la servait comme une seconde vue. Cependant M. d’Aspremont avait fait sa visite à miss Ward à l’heure accoutumée, et rien dans sa contenance ne trahissait l’émotion d’un drame terrible ; il paraissait même plus calme qu’à l’ordinaire.

Cette mort fut cachée à miss Ward, dont l’état devenait inquiétant, sans que le médecin anglais appelé par sir Joshua pût constater de maladie bien caractérisée : c’était comme une sorte d’évanouissement de la vie, de palpitation de l’âme battant des ailes pour prendre son vol, de suffocation d’oiseau sous la machine pneumatique, plutôt qu’un mal réel, possible à traiter par les moyens ordinaires. On eût dit un ange retenu sur terre et ayant la nostalgie du ciel ; la beauté d’Alicia était si suave, si délicate, si diaphane, si immatérielle, que la grossière atmosphère humaine ne devait plus être respirable pour elle ; on se la figurait planant dans la lumière d’or du Paradis, et le petit oreiller de dentelles qui soutenait sa tête rayonnait comme une auréole. Elle ressemblait, sur son lit, à cette mignonne Vierge de Schoorel, le plus fin joyau de la couronne de l’art gothique.