Page:Gautier - Œuvres de Théophile Gautier, tome 2.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autres modernes, grâce à notre horrible système de chaussure, presque aussi absurde que le brodequin chinois, nous ne savons plus ce que c’est qu’un pied. ― Celui de Nyssia était d’une perfection rare, même pour la Grèce et l’Asie antique. L’orteil légèrement écarté, comme un pouce d’oiseau, les autres doigts un peu longs, rangés avec une symétrie charmante, les ongles bien formés et brillants comme des agates, les chevilles fines et dégagées, le talon imperceptiblement teinté de rose ; rien n’y manquait. ― La jambe qui s’attachait à ce pied et prenait, au reflet de la lampe, des luisants de marbre poli, était d’une pureté et d’un tour irréprochables.

Gygès, absorbé dans sa contemplation, tout en comprenant la folie de Candaule, se disait que, si les dieux lui eussent accordé un pareil trésor, il aurait su le garder pour lui.

« Eh bien ! Nyssia, vous ne venez pas dormir près de moi ? fit Candaule voyant que la reine ne se hâtait en aucune manière et désirant abréger la faction de Gygès.

― Si, mon cher seigneur, je vais avoir fini, » répondit Nyssia.

Et elle détacha le camée qui agrafait son péplum sur son épaule, ― il ne restait plus que la tunique à laisser tomber. ― Gygès, derrière la porte, sentait ses veines siffler dans ses tempes ; son cœur battait si fort qu’il lui semblait qu’on