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CONSTANTINOPLE.

activée par les déprédations des barbares, latins, français, turcs, et même grecs. Chaque invasion qui se succède fait son dégât. C’est une chose incroyable que cette fureur aveugle de destruction et cette haine stupide contre les pierres ! Il faut bien que cela soit dans la nature humaine, car le même fait se reproduit à toutes les époques. Il paraît qu’un chef-d’œuvre offusque l’œil d’un barbare comme la lumière l’œil d’un hibou. Ce rayonnement de l’idée le gêne sans qu’il sache trop pourquoi, et il l’éteint. Les religions aussi détruisent volontiers d’une main si elles édifient de l’autre, et il y a eu beaucoup de religions à Constantinople : le christianisme y a brisé les monuments païens, l’islamisme les monuments chrétiens ; peut-être les mosquées vont-elles disparaître à leur tour devant un culte nouveau.

Ce devait être un beau spectacle lorsqu’une foule éblouissante d’or, de pourpre et de pierreries, scintillait sous les portiques qui entouraient l’Hippodrome et se passionnait alternativement pour les verts ou les bleus, ces factions de cochers dont les rivalités agitaient l’empire et causaient des séditions. — Les quadriges d’or, attelés de chevaux de race, faisaient voler sous leurs roues étincelantes la poudre d’azur et de vermillon dont on sablait l’Hippodrome par un raffinement de luxe ; et l’empereur se penchait du haut de la terrasse de son palais pour applaudir sa couleur favorite. — Les bleus, si l’on peut se servir d’une pareille expression à propos des cochers byzantins, étaient tories, les verts étaient whigs, car la politique se mêlait à ces cabales de cirque. Les verts essayèrent même de faire un empereur et de détrôner Justinien, et il ne fallut rien moins que Bélisaire et un corps d’armée pour avoir raison du soulèvement.

Dans l’Hippodrome, comme dans un musée à ciel ouvert, étaient réunies les dépouilles de l’antiquité. Un peuple de statues assez nombreux pour remplir une ville se dressait