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CONSTANTINOPLE.

milice indisciplinée sans être plus ou moins rançonné ; il fallait, comme on dit, cracher au bassin, ou être battu, couvert de boue et d’avanies.

Un mannequin, dont la tête et les mains sont en bois sculpté et colorié, non sans talent, soutient la garde-robe de l’ancien janissaire ; cette infraction à l’usage musulman, qui interdit toute reproduction de la figure humaine, est remarquable et prouve un affaiblissement du préjugé religieux amené sans doute par le contact avec les civilisations chrétiennes ; un tel musée, où se voient près de cent quarante personnages, n’eût pas été possible autrefois ; maintenant il ne choque personne, et souvent un vieux janissaire échappé au massacre vient y rêver devant la défroque de ses compagnons d’armes, et soupire en pensant au bon temps qui n’est plus.

Ce yenitcheri-kollouk-néféri a la mine d’un sacripant jovial : une espèce de bonhomie féroce respire dans ses traits fortement caractérisés qu’accentue une longue moustache ; on voit qu’il serait capable d’apporter de la drôlerie dans le meurtre, et il règne dans sa pose toute la nonchalance dédaigneuse d’un corps prévilégié qui se croit tout permis : les jambes croisées l’une sur l’autre, il joue de la louta, sorte de guitare à trois cordes, pour charmer les loisirs de la faction. Il porte un tarbouch rouge autour duquel s’enroule en turban une pièce de toile commune, une casaque brune dont les bouts rentrent dans la ceinture, et de larges culottes de drap bleu ; dans sa ceinture, à la fois arsenal et poche, s’entassent et se hérissent mouchoir, serviette, blague à tabac, poignards, yataghans, pistolets. — Cet usage de tout fourrer dans la ceinture est commun aux Espagnols et aux Orientaux, et nous nous souvenons d’avoir vu à Séville un combat au couteau, où il n’y eut de tué qu’un melon contenu par la faja d’un des adversaires.