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CONSTANTINOPLE.

à autre un beau costume grec de Pallikare ou d’Armatole théâtralement porté.

Las de ce bruit, nous allâmes nous asseoir dans une rue parallèle au port, à un café garni de divans extérieurs, — car à Syra on vit en plein air, — et l’on nous y servit des glaces au citron, infiniment supérieures à celles de Tortoni et valant celles du café de la Bolsa, à Madrid, ce qui est tout dire ; là je vis passer un Grec d’une beauté admirable, en grand costume, pur de toute altération française ; il n’y a pas de vêtement à la fois plus élégant et plus noble que le costume grec moderne : cette calotte rouge inondée d’une crinière de soie bleue ; ces gilets et ces vestes à manches pendantes, galonnés et brodés, cette ceinture hérissée d’armes ; cette fustanelle plissée et tuyautée comme une draperie de Phidias ; ces guêtres pareilles aux jambarts des héros homériques, forment un ensemble plein de grâce et de fierté. Les Grecs se serrent extrêmement, et plus d’un hussard ou d’une femme à la mode envierait leur corsage délié. Cette sveltesse de taille évase le buste, fait valoir la poitrine et donne de la légèreté à ce jupon blanc que la marche balance. J’ai dit tout à l’heure que ce Grec était très-beau : n’allez pas imaginer là-dessus un profil d’Apollon ou de Méléagre, un nez perpendiculaire au front comme dans les statues antiques. Les Grecs actuels ont en général le nez aquilin, et se rapprochent plus du type arabe ou juif qu’en ne se l’imagine ordinairement. — Il est possible qu’il existe encore dans l’intérieur des terres des peuplades où le caractère primitif de la race se soit maintenu. Je ne parle que de ce que j’ai vu.

Syra présente le phénomène d’une ville en ruine et d’une ville en construction, contraste assez singulier. Dans la ville basse, il y a partout des échafaudages, les moellons, et les platras encombrent les rues, on voit pousser les maisons à