Page:Gautier - Guide de l’amateur au Musée du Louvre, 1882.djvu/26

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vapeur, le mystère, la rêverie, et aussi un divin sourire qui n’appartient qu’à lui. Mais n’allez pas croire à un talent efféminé ; Prud’hon sait, quand il le faut, être mâle, sérieux et grand. Quoi de plus tragique que la Justice et la Vengeance divine poursuivant le crime ? Sur un site sauvage, obstrué de pierres et de ronces, une lune large et pleine verse une lueur livide et semble se suspendre au ciel comme une lampe révélatrice. Argenté par ses pâles rayons, le corps de la victime gît à terre dans l’abandon de la mort, comme un autre Abel tué par un autre Caïn. Ses formes élégantes et pures, sa belle tête renversée au milieu d’un flot de cheveux font un contraste frappant avec le type ignoble, bas, presque bestial du meurtrier qui s’éloigne la main crispée sur son poignard sanglant. Le crime vient à peine d’être commis, et déjà dans le ciel, sillonnant l’air de leur essor rapide, les divinités vengeresses planent, les ailes ouvertes, les draperies volantes, prêtes à fondre sur l’assassin tremblant. L’une tient une torche dont la lueur jette un reflet rougeâtre dans la froideur du clair de lune, l’autre serre sur son cœur les balances de la loi et le glaive qui punit les coupables. La tête de la Vengeance ou de la Némésis, si ce nom antique vous plaît mieux, éclairée à demi par la torche, est un chef-d’œuvre de couleur et de modelé. Celle de la Thémis exprime une sévérité calme, une indignation sereine d’un caractère tout divin. Quoique la scène se passe dans le monde allégorique, elle prend par la vérité de la couleur et de