Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/155

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les corbeaux au-dessus de la montagne de Kyffhausen ; les kobolds sont sortis devant lui des fentes de rocher du Hartz, et les sorcières du Brocken ont dansé autour du jeune poète français, qu’elles prenaient pour un étudiant d’Iéna, la grande ronde du Walpurgisnachtstaum : plus heureux que nous, il s’est accoudé sur la table d’où Méphistophélès faisait jaillir avec un foret des fusées de vins incendiaires. Il a pu descendre les degrés de cette cave de Berlin au fond de laquelle glissait trop souvent l’auteur de la Nuit de la Saint-Sylvestre et du Pot-d’Or. D’un œil calme il a regardé quels jeux de lumière produisait le vin du Rhin dans le rœmer d’émeraude et quelles formes bizarres prenait la fumée des pipes au-dessus des dissertations hégéliennes dans les gasthaus esthétiques.

Ces excursions nous ont valu des pages d’un caprice charmant et qu’on peut mettre sans crainte à côté des meilleurs chapitres du Voyage sentimental de Sterne ; l’auteur de la façon la plus imprévue, mêle la pensée au rêve, l’idéal au réel, le voyage dans le bleu à l’étape sur la grande route ; tantôt il est à cheval sur une chimère aux ailes palpitantes, tantôt sur un maigre bidet de louage, et d’un incident comique il passe à quelque extase éthérée. Il sait souffler dans le cor du postillon les mélodies enchantées d’Achim d’Arnim et de Clément Brentano, et s’il s’arrête au seuil d’une hôtellerie brodée de houblon pour boire la brune bière de Munich, la choppe devient dans ses mains la coupe du roi de