Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sible ; mais on ne s’est pas gêné pour insinuer qu’il n’avait pas de cœur, — un grand mot dont il ne faudrait pas abuser. — Telle n’est pas notre opinion : il aimait sa famille, il adorait son frère et il était naturellement tendre ; seulement, comme il avait cette pudeur de l’âme, si peu comprise, qui porte à voiler ses meilleurs sentiments, comme il détestait les affectations pathétiques, les pleurnicheries hors de propos et les emphases romanesques, dont il se moquait avec cette vive et fine raillerie que personne du moins ne conteste, il se fit bientôt une réputation d’égoïsme et de sécheresse. On prit à la lettre ses paradoxes, et il ne s’en fallut guère qu’il ne passât pour « un monstre » près des « âmes sensibles. »

Ce n’était pourtant qu’un aimable et spirituel viveur, causeur charmant et toujours prêt, un Parisien de Marseille, comme Méry et Gozlan, curieux de toutes les élégances, et qui aurait pu être, si la paresse érigée en principe et les distractions des plaisirs et des affaires ne l’en avaient empêché, un écrivain original et remarquable.

Nous l’avons connu jeune, lorsque déjà il dirigeait la Charte de 1830, un journal dont nul ne se souvient aujourd’hui, excepté nous, peut-être, qui fîmes dans ses colonnes nos premières armes de journaliste. Nestor était à cette époque à son plus beau moment de verve, de jeunesse et d’esprit ; il était impossible de ne pas se laisser emporter par cette entraînante vivacité méridionale, servie par un corps alerte et souple comme celui d’un jeune chat.