Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/203

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testaments pris, repris, déchirés, brûlés ; d’actes de naissance perdus, retrouvés ; de marches, de contre-marches, de surprises, de trahisons, de resurprises, de retrahisons, de poisons, de contre-poisons et de toutes les machines mélodramatiques si habilement manœuvrées par l’auteur. Il y a de quoi devenir fou ! Ne tournez pas la tête un instant, ne fouillez pas dans votre poche, ne nettoyez pas le verre de votre lorgnette, ne regardez pas votre jolie voisine : il se sera passé dans ce court espace de temps plus d’événements extraordinaires que n’en comporte la vie d’un patriarche ou la durée d’un mimodrame en vingt-six tableaux, et vous ne pourriez plus rien comprendre à ce qui suit, tant l’auteur est habile à ne pas laisser un moment de répit à l’attention. Quel terrible homme ! ni développements, ni explications, ni phrases, ni dialogue : des faits, rien que des faits, et quels faits, grands dieux ! de vrais miracles qui semblent à tout le monde très-simples et très-naturels ! La poétique de Bouchardy peut se résumer par cet exemple : — Toi ici ! par quel prodige ? mais tu es mort depuis dix-huit mois ! — Silence ! c’est un secret que je remporterai dans la tombe, répond le personnage interpellé. Cette explication suffit, et l’action continue sa marche. »

Ce qui faisait la force de Bouchardy, c’était son sérieux profond, sa conviction inébranlable. Il croyait que c’était arrivé, pour nous servir de la formule moderne, et bien heureux en art celui qui