Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/220

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romantique, quoique plus tard il ait nié, par une sorte de dandysme, avoir jamais partagé les doctrines des novateurs, imitant en cela Byron, qui exaltait Pope aux dépens de Shakspeare. Ces quelques partisans, peu nombreux mais fanatiques, le soutinrent de la voix et de la plume, et raffermirent dans la conscience de lui-même. Du reste, jamais talent ne fut plus courageux, plus opiniâtre, plus acharné à la bataille. Rien ne le rebutait, ni l’outrage, ni la moquerie, ni l’insuccès. Toute sa vie il resta sur la brèche, exposé aux coups, lorsque des maîtres plus adroits ou plus susceptibles se retiraient des expositions et se faisaient admirer en petite chapelle par des dévots choisis. Enfin, à la grande Exposition universelle de 1855, son œuvre rassemblé lui donna superbement raison ; les parois que ses toiles couvraient en devinrent rayonnantes et lumineuses. Il semblait y avoir dans cette salle un soleil qui n’éclairait pas les autres galeries. À partir de cette date solennelle et triomphale, les critiques se turent ; il devint de mauvais goût de nier un génie si évident.

Delacroix, que nous rencontrâmes pour la première fois quelque temps après 1830, était alors un jeune homme élégant et frêle qu’on ne pouvait oublier quand on l’avait vu. Son teint, d’une pâleur olivâtre, ses abondants cheveux noirs, qu’il a gardés tels jusqu’à la fin de sa vie, ses yeux fauves à l’expression féline, couverts d’épais sourcils dont la pointe intérieure remontait, ses lèvres fines et min-