Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/268

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des rampes. Ils ont des perruques de marbre à la Louis XIV, de celles qu’on appelait in-folio, dont les boucles, correclement frisées, leur descendent jusqu’à l’échine. Leurs faces débonnaires, aux traits presque humains, ressemblent à des masques de pères nobles dans la vieille comédie ; leur corps flasque, arrondi, sans os, sans nerf et comme bourré de son, n’a ni souplesse ni vigueur, et leur patte soulevée s’appuie sur une boule : geste peu léonin, il faut l’avouer.

Aussi, quel effet produisit le Lion au serpent, le chef-d’œuvre peut-être de Barye ! À l’aspect de ce terrible et superbe animal, hérissant sacrinière inculte, crispant son mufle avec une colère pleine de dégoût, maintenant sous ses ongles d’airain le hideux reptile qui se redresse dans la convulsion d’une rage impuissante, tous les pauvres lions de marbre serrèrent leurs queues entre leurs jambes et faillirent laisser échapper la boule qui leur sert de contenance. Celui-là était un vrai lion de l’Atlas, majestueusement fauve, aux muscles invaincus et dont le rictus farouche n’affectait pas le sourire académique. Transporté du désert au jardin des Tuileries, il effrayait comme un lion réel, et l’on eût aimé à le voir dans une cage, si la patine verle du bronze n’eût rassuré sur son compte et indiqué qu’il ne vivait que de la vie formidable de l’art. Le lion au repos, fait pour lui servir de pendant, rappelle par la solennité tranquille de l’altitude, la grandeur des lignes, ces gigantesques lions de marbre du Pirée,