Page:Gautier - Histoire du romantisme, 1874.djvu/82

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étaient d’un bleu clair, et leur extrême myopie en rendait le globe saillant ; sa bouche était forte, rouge et sensuelle. De cet ensemble résultait une sorte de galbe africain qui avait valu à Philothée le sobriquet d’Othello.

On ne connaissait pas, par exemple, sa Desdemona, mais à coup sûr il n’avait pas d’Yago, car il était très-aimé dans la bande. Son lorgnon ne le quittait pas ; il le portait au lit et le gardait sur son nez même en dormant ; sans l’inséparable binocle il ne pouvait, disait-il, distinguer ses rêves et perdait tous les enchantements de la nuit. Les charmes poétiques des sylphides, les attraits provoquants des gracieuses succubes qui hantent l’heureux sommeil de la jeunesse, se confondaient dans un vague brouillard.

Le caractère qu’on retrouve dans tous les débuts de ce temps-là est le débordement du lyrisme et la recherche de la passion. Développer librement tous les caprices de la pensée, dussent-ils choquer le goût, les convenances et les règles ; haïr et repousser autant que possible ce qu’Horace appelait le profane vulgaire, et ce que les rapins moustachus et chevelus nomment épiciers, philistins ou bourgeois ; célébrer l’amour avec une ardeur à brûler le papier, le poser comme seul but et seul moyen de bonheur, sanctifier et déifier l’Art regardé comme second créateur : telles sont les données du programme que chacun essaye de réaliser selon ses forces, l’idéal et les postulations secrètes de la jeunesse romantique.