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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

Turpin paraît un chef-d’œuvre de poésie spontanée, populaire, primitive, sublime. Je ne puis mieux exprimer ma pensée sur les Romans en prose. Elle est sévère.


XIV. — les voyages de la légende


Il faut que l’ingrate Europe en prenne son parti : nous possédions toute une littérature quand elle savait lire à peine. Oui, la France avait ses odes, ses épopées, ses drames, alors que les nations voisines, si orgueilleuses aujourd’hui,n’atta-

    de païens, il les montra à Roland, et lui dit : « Hélas ! mon cher ami, nous pouvons bien connoître maintenant que nous sommes vendus. Nous ne sommes que vingt mille contre quatre cent mille. Je vous prie, sonnez du cor, afin que votre oncle Charlemagne vous entende et qu’il vienne à notre secours. » Roland répondit : « Je vous prie, prenez courage ; car plus je vois venir les païens, et plus le courage me croît. J’ai espérance que mon épée Durandal en mettra aujourd’hui à mort plus de sept mille. » Pendant qu’ils parloient, les païens venoient toujours de toutes parts sur eux, tellement qu’ils se virent environnés de tous côtés. De rechef, l’archevêque Turpin et les autres pairs de France prièrent Roland qu’il sonnât de son cor, mais il n’en voulut rien faire, et leur dit : « Seigneurs, prenez courage ; car je crois que, si tous les païens étaient ici aujourd’hui, je les mettrois à mort. » Le roi Marsille exploita tant qu’il vint auprès des Pairs. Il aperçut Roland et Olivier ; il leur dit à haute voix ; « Vassaux, vous me coûtez une grande somme pour la vendition que Ganelon a faite de vous ; mais, par mes dieux, aujourd’hui j’en serai dédommagé. » Quand Roland l’entendit ainsi parler, il anima son grand courage, et incontinent prit sa lance et Olivier la sienne, et allèrent droit au lieu où étoit Marsille. Ils firent tel carnage qu’il n’y avoit païen qui osât se trouver devant eux, tant ils étoient animés. Roland tira Durandal, son épée, et dit : « Ô Durandal, ma bonne épée, montre aujourd’hui ta vertu… » Puis, Roland prit son cor, et sonna par trois fois si fort que le son du cor (par le pouvoir de Dieu) fut si merveilleux qu’on l’entendit de sept lieues, et ledit son alla jusques au camp de Charlemagne. Roland, dans le moment, aperçut Godefroy de Bouillon, lequel étoit blessé de dix plaies mortelles. Il lui dit : « Hélas ! Godefroy, mon ami, tâchez de vous échapper des mains de ces malheureux Sarrasins, et allez faire savoir vivement à mon oncle Charlemagne, et lui direz l’infortune qui nous est arrivée… » Godefroy partit aussitôt en les recommandant à Notre-Seigneur. » (Édit. Garnier, de Troyes.)