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INTRODUCTION

manieur, et il écrit : Beaus fut li jors, si prist à decliner — Et li solaus se prist à esconser[1]. Dès que l’on se permet de fabriquer sans aucun besoin deux vers au lieu d’un, il n’y a pas de raison pour n’en point fabriquer trois. Au lieu de : Er main sedeit l’Emperere suz l’umbre[2], on écrira hardiment : Li Emperere esteit en mi un pré — Desoz un pin menuement ramé, — Por la calor qui est grans en esté[3]. Voyez-vous le poëme qui s’allonge, s’allonge, s’allonge. Et comprenez-vous la raison de ces formidables allongements ?

Un travail plus utile — et c’est le cinquième qui occupe nos rajeunisseurs — consiste à modifier un hémistiche (ou quelques mots seulement) dans un vers du texte primitif. Mais encore faudrait-il s’entendre sur le sens de cette dernière expression. À notre sens, il n’y a jamais eu deux exemplaires absolument semblables d’une version originale. Dans les manuscrits même qui renferment une même rédaction, il y a des variantes de détail, et elles sont très-nombreuses[4]. Certains textes étaient

  1. Versailles, v. 185, 186.
  2. Oxford, v. 383.
  3. Versailles, v. 569-571. Nous avons cité dans nos Épopées françaises (I, 291, 292), d’autres exemples de ce procédé à l’usage des rajeunisseurs. On peut y joindre les suivants. Tandis que le texte d’Oxford dit très-simplement : Si receverat la nostre lei plus salve ; — Chrestiens ert, de mei tendrat ses marches (v. 189, 190), on lit dans le texte de Versailles : Crestiens ert batisez et levez ; — Jontes ses mains fera les comans Dé, — De nus tenra Espaigne en quietez. (V. 226-228.) ═ Cf. ce vers de la version primitive : Respunt li Reis : « Vos estes saives hom (v. 248), » avec les deux suivants de la version rajeunie : Li Emperere en hauce le menton. — Après, li dit : « Mot estes saives hon. » (Versailles, v. 290, 291.) ═ Rapprochez également de ce vers du texte d’Oxford : Francs chevalers, dist li emperere Carles (v. 274), ces trois vers du même remaniement : Li Emperere se dresse en son estage ; — Grant ot le cors et mot fier vasselage : — « Seignor français, entendez mon corage (Versailles, v. 323-325). » Etc. etc.
  4. On se convaincra facilement de cette vérité si l’on veut bien comparer attentivement, avec notre texte de la Bodléienne, les trente couplets d’une version antique qui ont été conservés intacts dans le manuscrit de Paris. Nous donnons ici, comme point de comparaison, la laisse ccxliii de ce dernier texte que l’on rapprochera de notre couplet cxcii : Grans est li os de cette gent adverse : — Vers Saragosse ont acoilli lor voie ; — Au roi Mar-