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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

peut-être écrits sous la dictée d’un jongleur qui savait le poëme par cœur et le modifiait involontairement[1]. Mais, outre ces changements inhérents à la nature de nos Chansons, il en est d’autres qui sont dus aux remanieurs. Tout d’abord, ils ne se font aucun scrupule de changer les noms d’hommes et les noms de lieu. Au lieu de Butentrot[2], le rajeunisseur n’hésitera point à écrire Butancor[3] ; et au lieu de Commibles[4], Merinde[5]. D’autres vocables seront tout à fait supprimés, parce qu’ils n’ont pas, dans l’esprit du refaiseur, la même importance qu’aux yeux du vieux poëte : tel est Saint Michel du Péril[6]. D’autres corrections, plus logiques encore, sont celles qui sont justifiées par l’histoire. Laon n’avait plus d’importance au temps où nos refazimenti furent composés : on le remplaça par Paris[7]. D’autres fois le rajeunisseur est obligé de remplacer certains mots qui déjà sans doute étaient devenus archaïques ou qui n’étaient plus compris de son temps.

    sille est venue nouvelle — Que Baliganz est entré en sa terre : — Son ost amaine, ainz ne fu veü telle. — XVII. Roi environ, la chaellent. — Or gart Dex Karla et la voire paterne : — Bataille auront e dolirouse et pesme, etc. etc.

  1. Ne faut-il pas considérer comme des « variantes de dictée » les vers suivants empruntés aux couplets primitifs du texte de Paris : « Morz est mis niés ki tant soloit conquerre (couplet cclx), et : Encontre moi leveront cil lor testes (couplet cclxi), que l’on peut rapprocher des vers correspondants de notre texte d’Oxford : Morz est Rolant, ki tant me fist cunquerre (v. 2,920). Encuntre mei revelerunt li Seisne (2,921), etc.
  2. Oxford, v. 3,220.
  3. Paris, v. 10,008 de l’édition F. Michel, où par malheur le numérotage est faux.
  4. Oxford, v. 198.
  5. Versailles, v. 209. Il ne faut pas d’ailleurs oublier que, dans l’esprit de nos poëtes et surtout de nos rajeunisseurs, la plupart des noms propres étaient, de droit, abandonnés à la fantaisie, au caprice des auteurs. Comparez, à ce point de vue, les couplets v d’Oxford et de Versailles.
  6. Versailles, couplet ix, etc.
  7. C’est ainsi que, dans l’oraison funèbre de Roland, « Laon » (texte d’Oxford) est remplacé par « Paris » (texte de Paris). ═ Dans le remaniement de Versailles, au lieu de ce vers du texte original : Carles sera ad Ais à sa capele (v. 52), on lit les deux suivants : Challes à Ais et ses riches barnez — Ou à Estampes ou à Paris delez (v. 63, 64).