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NOTES ET VARIANTES, VERS 2505

légendaires tout à fait distincts l’un de l’autre, et qui ne se sont jamais confondus. Le premier est celui de nos Chansons de geste ; le second celui des Romans de la Table Ronde. Nous les étudierons l’un après l’autre. 1° L’auteur de notre Roland ignorait absolument les traditions « celtiques », qui ne se sont guère répandues en France qu’une cinquantaine d’années plus tard. Mais, en revanche, le Voyage à Jérusalem et à Constantinople nous montre, dans notre cycle carlovingien, le grand empereur rapportant de Jérusalem les reliques de la Passion, qu’il dépose à Saint-Denis, et cette légende remonte tout au moins à la fin du xe siècle. Seulement dans le vieux poëme il n’est pas question de la lance. C’est la Karlamagnus Saga, reproduisant sans doute une autre Chanson française, qui nous en parle très-explicitement, et considère la pointe de cette lance comme un présent que le roi de Constantinople fit au roi de Saint-Denis. Et la Saga ne manque pas de nous apprendre que Charles incrusta cette précieuse relique dans le pommeau de son épée, que, depuis lors, il nomma Giovise : d’où le cri de Mungeoy. (V. la note du vers 2501.) ═ 2° Tout autre est la tradition « celtique » ; mais il est malaisé de pénétrer ici jusqu’à la véritable source de la légende. Deux systèmes, deux écoles sont aujourd’hui en présence : d’une part, M. de la Villemarqué ; de l’autre, M. P. Paris. ═ M. de la Villemarqué fait remonter au delà des temps chrétiens l’histoire merveilleuse de la lance. Suivant lui, le célèbre Graal existait de temps immémorial dans les poésies bardiques (?). C’était dès lors un vase magique communiquant la science universelle, guérissant toutes les blessures etc. La lance sanglante aurait été, avec ce bassin merveilleux, le symbole militaire des Bretons dans leur lutte contre les Anglo-Saxons. Depuis le vie jusqu’au xiie siècle, les fables s’accumulent autour de la lance et du bassin magique. Au commencement du xiie siècle, un conteur gallois (?) donne un corps à la légende de Peredur (le Compagnon du bassin), qui quitte la cour d’Arthur et qui, pour conquérir le bassin et la lance, combat lions, serpents, sorcières et monstres de toutes sortes. Cette histoire de Peredur (H. de la Villemarqué, Romans de la Table Ronde, 3e éd., pp. 145-146) se raconte encore aujourd’hui dans les campagnes bretonnes, et M. Ém. Souvestre assure l’avoir écrite sous la dictée d’un paysan. Il s’agit, dans ces récits populaires, d’un certain Peronik, que l’on appelle « l’idiot », et qui est, en effet, un enfant aussi simple que pauvre. Cependant Peronik, à force de patience et d’observation, parvient à conquérir, au fond d’une caverne magique, le bassin d’or qui guérit tous les maux et ressuscite les morts, et la lance à pointe de diamant qui tue et brise tout ce qu’elle touche. Pour y arriver, il traverse le bois enchanté, cueille la fleur qui rit, passe le lac des dragons, combat l’homme à la boule