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NOTES ET VARIANTES, VERS 2505

de fer, franchit le vallon des plaisirs, etc. (E. Souvestre, Foyer breton, II, p. 137.) C’est, comme on le voit, l’histoire de Perceval le Gallois, modifiée par le temps et le peuple... ═ b. M. Paulin Paris parle tout différemment. (Romans de la Table Ronde, I, pp. 93 et suivantes.) La légende, suivant lui, aurait une origine chrétienne. Il aurait, dès les iiie et ive siècles, circulé chez les Bretons insulaires certains récits qui faisaient de Joseph d’Arimathie le premier apôtre de la Bretagne. Or Joseph possédait le vase où il avait recueilli le sang du Sauveur : il avait, d’ailleurs, reçu de Dieu des dons plus précieux, et était notamment investi du droit de faire des évêques. De telles idées s’accordaient trop bien avec les prétentions des Bretons à l’indépendance religieuse. Pour ne pas dépendre de Rome, ils s’armèrent de ces prétendues traditions. Vers l’an 720, un clerc du pays de Galles écrivit, dans l’intérêt de ce schisme, le fameux Gradale ou Liber gradalis, qui donnait un corps à la légende du vase miraculeux. Mais il ne semble pas être ici question de la lance. Ce livre, d’après M. P. Paris, serait demeuré secret depuis le viiie jusqu’au xiie siècle, et ce secret s’expliquerait assez bien par les idées d’indépendance qu’une telle œuvre pouvait favoriser contre la suprématie des papes. C’est en France que le Gradale fut un jour traduit, développé, embelli, et ce fait important doit être placé entre les années 1160 et 1170. Telle est, en effet, la date du Joseph d’Arimathie de Robert de Boron. Quelques années après, un auteur inconnu écrivait le Saint-Graal en prose. De là à Parceval le Gallois, il n’y a qu’un pas... ═ Nous venons d’exposer tour à tour les deux systèmes de MM. Paris et H. de la Villemarqué : notre intention n’est pas de décider entre les deux. Nous nous contenterions volontiers de croire qu’il y a du vrai dans l’un comme dans l’autre, et que les deux légendes, païenne et chrétienne, ont pu se fondre. Quoi qu’il en soit, leur point d’arrivée à toutes deux est, comme nous l’avons vu, Perceval le Gallois, dont l’auteur est Chrestien de Troyes, mort avant l’année 1190. En voici le résumé... Perceval est le fils d’une pauvre veuve du pays de Galles, que sa mère veut à tout prix éloigner de la condition militaire, mais qui rencontre un jour des chevaliers de la cour d’Arthur, et ne peut résister à sa vocation chevaleresque. Il traverse mille aventures, et, après s’être oublié dans l’amour de Blanche-Fleur, arrive un jour dans un château merveilleux. Un valet paraît, portant une lance d’où coule une goutte de sang ; puis deux damoiselles, dont l’une tient un bassin d’or, un graal. Perceval est dans le palais du Roi-Pécheur. Par malheur, il n’est pas assez curieux pour demander l’explication de « la lance qui saigne ». De là ses infortunes. Il perd soudain la mémoire ; bien plus, il reste cinq ans sans entrer dans une église. Mais enfin, un jour de vendredi saint, il confesse ses péchés, il communie, il renaît à