Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/112

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Mais le marquis secoua sa rêverie ; l’idée l’effraya de paraître stupide et sans galanterie à la belle-fille de Dupleix ; il regarda autour de lui. Il y avait là bon nombre de bourgeoises et de femmes de trafiquants, nées à Pondichéry et n’en étant jamais sorties. Les petits ridicules de leurs manières et de leurs toilettes sautaient aux yeux d’un habitué de Versailles ; ils lui servirent de thème et il fit briller, aux dépens des naïves coloniales, une fine ironie et une moquerie légère dont Chonchon fut éblouie. Avant que la gavotte fût terminée, elle lui avait pardonné son silence du début, et quand il la reconduisit à sa place, la jeune fille était charmée de la grâce et de l’esprit de son danseur.

Bussy se mit à errer de salle en salle, regardant les femmes, heureux d’être seul et de ne connaître personne. Son regard recherchait de préférence les Orientales, mais il y en avait, naturellement, fort peu, les musulmanes ne sortant pas du harem : quelques Indiennes, des Arméniennes assez belles, d’une beauté de race, sans grande personnalité. Les Maures, comme les Français les appelaient encore, étaient au contraire assez nombreux. Ils regardaient danser d’un air fort dédaigneux, ne comprenant pas bien pourquoi des personnes de qualité se donnaient la peine de danser elles-mêmes, au lieu de payer pour cela des odalisques ou des bayadères. N’aimant pas à rester debout, ils accaparaient les fauteuils et les canapés, les disputant aux dames ; et ils restaient là, gravement assis, un genou replié, le pied sous la cuisse, roulant des yeux étincelants, tirant entre leurs doigts leurs moustaches épaisses.