Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/149

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funeste de te voir, tu vas nous ravir encore le cœur de toutes les femmes, en te montrant à elles sous la forme du plus beau des hommes.

— Ces louanges ne répondent pas à ma question.

— La bannière de Bangalore, qui flotte au sommet de ta tente, ne dénonce-t-elle pas ta majesté ?

— Qui donc es-tu, pour si bien connaître les bannières ?

— Je suis ton humble esclave : Chanda-Saïb, le gendre du nabab Sabder-Aly.

— Ah ! tu es Chanda-Saïb, dit la reine avec une expression un peu moins hautaine ; tu es ce prince malheureux, que l’assassinat et la trahison privent de famille ?

— Oui, dit-il avec un soupir, le nabab du Carnatic, mon beau-père, est mort sous le poignard, et le frère de ma femme vient d’être frappé aussi, dans la fleur de son printemps. Seul héritier légitime, je suis dépossédé, et je crains aujourd’hui pour ma liberté et pour ma vie.

— Mes aïeux régnaient sur ce pays, que les tiens ont conquis, et que d’autres te reprennent, dit la reine. La volonté des dieux est obscure, il faut subir la destinée.

— Lutter et triompher de l’injustice vaut mieux, et c’est là mon espoir.

Tout en parlant et sans y prendre garde, Chanda-Saïb s’était avancé de quelques pas.

— Tu es mon hôte, puisque tes pieds ont franchi ce seuil, dit la reine ; assieds-toi et prends ta part de ces mets.