Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/187

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juvénile, qui le faisait rire de tout ; des traits charmants, mais sans énergie, et rien qu’une douceur paresseuse dans ses longs yeux de velours.

Une symphonie jouée en sourdine, par un orchestre caché, le cliquetis argentin de la vaisselle, le murmure des conversations, formaient un brouhaha qui isolait les groupes et permettait des causeries intimes.

— Le prince est-il marié ? demanda Bussy à Chonchon après un moment de silence.

— Marié, je le crois bien, il a cinquante femmes ! Je suis allée avec ma mère dans son harem, le Zénanah, comme on dit ici ; je les ai vues, ces femmes, sans leur voile ; elles sont bien belles, les Circassiennes surtout, celles-là ont des esclaves chargés uniquement de leur peindre l’intérieur des paupières avec de l’antimoine ; mais ma mère, qui parle leur langue, dit que toutes manquent d’esprit.

— Pourquoi habite-t-il Pondichéry au lieu d’être à la cour du Soubab ?

— On a déjà cherché à l’assassiner et il fuit les complots. Mon père est le grand refuge ; ils savent tous, ces princes, qu’il ne trahit pas, lui, et ils ont une confiance superstitieuse dans les fortifications de la ville, dont ils ne comprennent pas l’architecture savante.

— A-t-il donc des chances de succéder au trône ?

— Non, c’est plutôt son oncle, Mouzaffer, le petit-fils du roi ; mais il y a tous les fils, qui ne laisseront pas la succession leur échapper. Enfin, je n’y comprends rien. Ne me faites pas parler politique.

Le dîner finissait ; on retournait avec un peu de dé-