Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/34

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Bussy regardait avec une sorte d’inquiétude l’être qui était devant lui. Nu, moins un lambeau autour des reins, d’une maigreur excessive, la peau desséchée et brune comme du bois de chêne, les cuisses longues, les coudes aigus, il avait l’aspect bizarre d’une grande sauterelle. Cet être était jeune pourtant, et dans ses traits émaciés, sous sa chevelure en désordre, il y avait quelque chose de si résigné et de si triste qu’on devinait qu’un malheur irrémédiable pesait sur lui. Des yeux, très grands dans cette face si maigre, jaillissait un rayon d’intelligence qui contrastait avec l’expression et l’attitude navrée de tout le corps. C’était comme une lumière dans un tombeau.

Il se taisait, semblant attendre un mot du blessé ; mais le marquis continuait à le regarder sans parler. Cet homme alors s’enveloppa rapidement la main droite avec un linge blanc, ouvrit un coffre posé à terre et y prit une coupe d’argent.

— Seigneur, dit-il, daigneras-tu boire cette potion ? Mais avant de parler il avait élevé jusqu’à sa bouche une planchette suspendue par une corde à sa ceinture, comme si son souffle eût été empoisonné et qu’il eût mis cet écran entre lui et le jeune homme.

L’idée de boire révéla au blessé la cause d’une souffrance qu’il ne s’expliquait pas et qui était une soif dévorante.

— Oui, oui, dit-il.

L’homme, dont il ne voyait plus que les yeux par-dessus la planchette salie à tous les frottements, lui tendait de loin la coupe.