Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/84

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L’Achille part à son tour, puis le Bourbon, le Neptune, le Phénix, la Princesse-Marie, toute l’escadre ! Les voiles, que le soleil frappe encore, ont un éclat éblouissant sur le fond noir de l’horizon, puis elles entrent dans la pénombre, deviennent grises, et bientôt les vaisseaux s’enfoncent et disparaissent dans la nuit obscure qui semble les dévorer.

La foule, muette et immobile, a comme l’impression d’un immense suicide.

Une cloche se met à tinter dans la ville, pareille à un glas ; c’est à l’église du couvent des capucins où l’on commence des prières pour le salut des marins.

Voilà que le soleil est atteint, il devient pâle, puis sanglant, et la sombre houle des nuages le submerge. Une obscurité presque nocturne tombe sur la ville à travers laquelle la foule se disperse en hâte, sous les tourbillons de sable que les rafales intermittentes, qui tombent tout à coup, arrachent à la grève.

Et brusquement, dans un mugissement terrible, le vent fait irruption, avec la violence d’un fleuve au cours rapide. Les minces cocotiers ploient jusqu’à balayer le sol de leur tête échevelée. Toutes sortes de débris volent et tournoient dans l’air, et l’écume des lames est emportée aussi, comme une neige.

La tempête atteint vite son paroxysme ! Le ciel n’est plus qu’un vaste éclair et la foudre éclate de tous les côtés à la fois dans un fracas assourdissant.

En mer, c’est un chaos qui peut donner une idée des luttes élémentaires des premiers âges du monde ; des gouffres se creusent, et, comme si des volcans les soulevaient, des vagues monstrueuses s’élèvent,