Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/96

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dent quelques revenus tiennent à honneur d’habiter le quartier élégant. D’ailleurs, comme la colonie est avant tout commerçante, on a quelques égards pour les marchands, et la société est forcément très mêlée.

— Louis XIV n’a-t-il pas déclaré qu’un homme de noble naissance ne dérogeait pas en faisant le trafic avec les marchands de l’Inde ? dit Bussy. Cela crée pour eux une sorte de privilège.

Sans qu’il y eût cohue, on voyait se suivre et se croiser dans les avenues, toutes sortes de véhicules : des palanquins, portés par des noirs et escortés d’un triple rang de gardes vêtus de blanc ; des chaises à porteurs richement peintes et vernies, tenues par des laquais en livrée ; des chars, à toit doré, traînés par des bœufs ; et de vastes carrosses, surmontés de galeries à jour, montrant des portières blasonnées. Parfois un chameau, portant un messager, se hâtait en grommelant, ou bien un éléphant, ayant sur son cou le mahout lui piquant l’oreille et sur son dos quelque seigneur hindou, passait la trompe basse et repliée, couvert d’une housse rouge, brodée aux coins, que chacun de ses larges pas faisait flotter et claqueter.

La résidence du gouverneur de l’Inde était construite dans le style du palais de Versailles ; mais avec un luxe plus voyant, plus coloré, et certaines concessions au climat du pays, telles que vérandas et galeries ouvertes.

Les deux officiers pénétrèrent dans la cour d’honneur, gardée par des grenadiers et par des cipayes, et, comme Kerjean était du palais, l’huissier de service les laissa entrer dans le parc sans les accompagner.