Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/338

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Le rat n’est à son aise qu’à l’Académie royale de musique ; c’est là son vrai milieu. Il s’y meut avec la facilité d’un poisson de la Chine dans son globe de cristal ; il ploie ses coudes contre son corps comme des ailes ou des nageoires, et file en frétillant à travers les groupes les plus serrés. Les trappes s’ouvrent, le plancher manque sous les pieds, la cime d’une forêt verdoie subitement à fleur de terre ; les lampistes courent çà et là, portant de longues brochettes de quinquets ; un plafond de palais descend des frises, les hommes d’équipage (on appelle ainsi les machinistes) emportent sur leur dos un portail gothique aux ogives menaçantes : le rat ne se dérange pas de son chemin, il se joue de tous ces obstacles. N’ayez pas peur, il ne lui arrivera rien ; l’Opéra est plein de sollicitude pour lui, ses angles rentrants s’adaptent merveilleusement aux angles sortants des coulisses : le théâtre est sa carapace, il y vit (laideur à part) comme Quasimodo dans Notre-Dame.

La mère du rat est une figurante émérite ou une portière ; mais le cas est plus rare : les filles de portières s’adonnent principalement à la tragédie, au chant, et autres occupations héroïques ; elles préfèrent être princesses. Quant au père, il est toujours extrêmement vague, et ne peut guère se démontrer que par le cal-