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Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/339

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cul des probabilités. C’est peut-être un marquis ; c’est peut-être un pompier.

Quelle singulière destinée que celle de ces pauvres petites filles, frêles créatures offertes en sacrifice au Minotaure parisien, ce monstre bien autrement redoutable que le Minotaure antique, et qui dévore chaque année les vierges par centaines sans que jamais aucun Thésée vienne à leur secours !

Le monde n’existe pas pour elles. Parlez-leur des choses les plus simples, elles les ignorent ; elle ne connaissent que le théâtre et la classe de danse ; le spectacle de la nature leur est fermé : elles savent à peine s’il y a un soleil, et ne l’aperçoivent que bien rarement. Elles passent leur matinée aux répétitions dans une pénombre crépusculaire, aux lueurs rouges de quelques quinquets fumeux, ne comprenant qu’il fait jour que par les filets déconcertés de lumière qui se glissent à travers les treillages du comble et les portes des loges. Quand elles s’en vont à deux ou trois heures de l’après-midi, les rues leur semblent nager dans cette lueur bleue du matin, dans ce reflet de grotte d’azur, dont le contraste est si frappant après les nuits jaunes du bal et de l’orgie ; elles ne distingueraient pas un chêne d’une betterave ; elles ne