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Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/340

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voient que des arbres peints, les malheureuses ! Elles sont entourées d’une fausse nature : soleil d’huile, étoiles de gaz, ciel de bleu de Prusse, forêts de carton découpé, palais de toile à torchon, torrents que l’on fait tourner avec une manivelle ; elles vivent dans des limbes obscures, dans un monde de convention, où l’on voit toujours l’homme et jamais Dieu.

Le peu de notions qu’elles peuvent avoir se rapportent toutes aux opéras et aux ballets du répertoire. « Ah ! oui, c’est comme dans la Juive ou la Révolte au Sérail, » est une réponse qu’elles font souvent : c’est par là qu’elles ont appris qu’il y avait des Italiens, des Turcs, des Espagnols, et que Paris, Londres et Vienne n’étaient pas les seules villes du monde. L’érudition n’est pas leur fort ; c’est tout au plus si elles savent lire, et leur écriture est quelque chose de parfaitement hiéroglyphique, que Champollion ne déchiffrerait pas ; elles feraient mieux d’écrire avec leurs pieds : ils sont plus exercés et plus adroits que leurs mains ! Quant à l’orthographe, il est inutile d’en parler ; la Boîte aux lettres de Gavarni vous en a donné de nombreux échantillons. Du reste, le papier est satiné, gaufré, moiré, doré, enluminé, et répare la pauvreté du style par sa magnificence ; tout cela est scellé de cire superfine,