Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/37

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ordinaire. Pour le gonfler, l’eider de Norvège avait fourni son duvet le plus soyeux et le plus léger ; la Frise, sa toile la plus égale, la plus blanche, pour former la taie, entourée d’une précieuse dentelle de Malines large de deux doigts. Et puis avec cela, si l’on peut dire qu’un oreiller a une physionomie, celui-ci avait un air si candide, si calme, si pur, si bienveillant ; il ballonnait si parfaitement, il exhalait une si suave odeur de lessive et de poudre d’iris, qu’il eût donné à l’activité même l’envie d’y reposer sa tête.

Ninette, après avoir fait sa prière, se coucha, et enterra, non sans quelque appréhension, les roses de sa joue dans la neige de l’oreiller. Avec son petit bonnet garni d’une ruche de tulle, elle était, comme on dit, en style de loup, gentille… à croquer. Une ou deux boucles de cheveux blonds s’échappaient de dessous le béguin avec des ondulations et des luisants de soie grége. La chère enfant aurait bien voulu entrer tout de suite en conversation avec son talisman ; mais elle se souvint de la recommandation de madame ***, et elle eut la force de ne rien demander. Au bout de quelques minutes, comme elle allait s’endormir, un murmure presque insaisissable sortit de l’oreiller, et les phrases suivantes furent chuchotées à Ninette,