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Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/38

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mais si bas, si bas, qu’elle seule, s’il y eût eu d’autres personnes dans la chambre, aurait pu les entendre :

— Chère Ninette, comme vous avez été impatiente tantôt, et nerveuse, et préoccupée ! Vous avez dit plus de vingt fois en vous-même : « Je voudrais bien être à ce soir. » Le temps est à celui qui a fait l’éternité ; pourquoi vouloir hâter ou retarder sa marche ? Chaque heure vient à son tour, même celle qu’on attend. Si Dieu vous avait écoulée toutes les fois que vous avez désiré arriver à cette époque, votre vie eût été raccourcie de moitié : désirer l’avenir, c’est le plus sûr moyen de gâter le présent !

Ce conseil donné, l’oreiller se tut, et Ninette ne tarda pas à s’endormir. Elle fit les plus jolis rêves du monde ; il lui semblait être dans un paysage aux gazons de laine, aux arbres en chenille, aux maisons en bois de Spa, peuplé de poupées à ressorts si bien articulées, qu’on aurait cru leurs mouvements naturels ; puis le paysage s’envola, et Ninette fut transportée dans le royaume de Nacre de perle, dans un palanquin de fils de la Vierge porté par deux oiseaux-mouches en grande livrée ; enfin elle vit, assise sur un trône de diamant, une femme d’une beauté merveilleuse, qui