Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/51

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sur un bâton recourbé comme ceux des pasteurs d’Arcadie, il s’abandonna à la pente habituelle de ses rêves. Le chien, jugeant avec sagacité que les moutons ne s’éloigneraient pas d’un endroit où l’herbe était si drue et si tendre, se coucha aux pieds de son maître, la tête allongée sur ses pattes et les yeux plongés dans son regard, avec cette attention passionnée qui fait du chien un être presque humain. Les moutons s’étaient groupés çà et là dans un désordre heureux. Un rayon de lumière glissait sur les feuilles et faisait briller dans l’herbe quelques gouttes de rosée, diamants tombés de l’écrin de l’Aurore, et que le soleil n’avait pas encore ramassés. C’était un tableau tout fait, signé Dieu, un assez bon peintre dont le jury du Louvre refuserait peut-être les toiles.

C’est la réflexion que fit une jeune femme qui entrait en ce moment par l’autre extrémité du vallon :

— Quel joli site à dessiner ! dit-elle en prenant un album des mains de la femme de chambre qui l’accompagnait.

Elle s’assit sur une pierre moussue, au risque de verdir sa fraîche robe blanche, dont elle paraissait s’inquiéter fort peu, ouvrit le livre aux feuillets de vélin, le posa sur ses genoux et commença à tracer