Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/57

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à lui la belle dame de la vallée. Elle s’approcha de lui en souriant, et lui dit :

— Il ne s’agit pas de regarder, il faut faire.

Ayant prononcé ces paroles, elle plaça sur les genoux du pâtre étonné un carton, une belle feuille de vélin, un crayon taillé, et se tint debout près de lui. Il commença à tracer quelques linéaments ; mais sa main tremblait comme la feuille, et les lignes se confondaient les unes dans les autres.

Le désir de bien faire, l’émotion et la honte de réussir si mal lui faisaient couler des gouttes d’eau sur les tempes. Il aurait donné dix ans de sa vie pour ne pas se montrer si gauche devant une si belle personne ; ses nerfs se contractaient, et les contours qu’il essayait de tracer dégénéraient en zigzags irréguliers et ridicules ; son angoisse était telle, qu’il manqua de se réveiller ; mais la dame, voyant sa peine, lui mit à la main un porte-crayon d’or dont la pointe étincelait comme une flamme.

Aussitôt Petit-Pierre n’éprouva plus aucune difficulté : les formes s’arrangeaient d’elles-mêmes et se groupaient toutes seules sur le papier ; le tronc des arbres s’élançait d’un jet hardi et franc, les feuilles se détachaient, les plantes se dessinaient avec leur feuil-