Page:Gautier - La Reine de Bangalore, 1887.djvu/19

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Kerjean reçut un limon en pleine poitrine, ce qui le réveilla brusquement, maugréant et furieux.

— J’ai cru que c’était un boulet, dit-il en ramassant le fruit qu’il se mit à éplucher ; pouah ! que c’est acide !

— Je crois bien, dit Bussy, c’est un amblid ; Naïk prétend que, si l’on y enfonce une aiguille, elle se dissout.

— Envoyez-moi autre chose, affreuses bêtes, dit Kerjean en rejetant aux singes les débris du fruit, ce qui lui attira une grêle de projectiles ; mais sont-ils mauvais ! continua-t-il, il est temps que nous sortions de la forêt ; sans cela il nous faudra livrer bataille. Demandez donc au mahout où nous en sommes.

— Encore quelques instants, et l’on débouchera dans une vallée où l’on fait halte.

Déjà les soldats musulmans se débandent, beaucoup se mettent à courir pour arriver plus tôt.

— Qu’est-ce qui leur prend ? s’écria Kerjean.

Ce n’est qu’en arrivant dans la vallée, large et charmante, avec une rivière coulant au fond, qu’on a l’explication de cette course. Beaucoup sont au bord de l’eau, défaisant leurs vêtements, il s’agit des ablutions pieuses, déjà un peu en retard, car le soleil est levé.

— Ma foi, je veux voir cela de près, dit Bussy, descendant de l’éléphant, pour courir, lui aussi, vers la rivière.

Un umara, faisant office de muezzin, chantait à tue-tête, sur la mélopée prescrite :

— « Dieu très grand ! Dieu très grand I Dieu très grand ! J’atteste qu’il n’y a pas de Dieu sinon Dieu, et que Mahomet est le prophète de Dieu. À la