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le collier des jours

l’ai dit, sur un petit jardin. C’est là, en le contemplant, le front contre la vitre la plus, basse, que j’eus ma première rêverie.

Ce jardin, étroit et long, entre deux murs, aboutissait à une maison ; une pelouse l’emplissait presque ; l’allée tournait autour ; des fleurs, quelques arbustes, c’était tout. Cela me paraissait néanmoins, magnifique, et j’enviais beaucoup le gros chat jaune, qui se promenait à petits pas sur le gravier, et même sur le tapis du gazon.

« Pourquoi n’y allions-nous pas ? »

— Y aller !… Mais c’est le jardin de la propriétaire !

La propriétaire !… Avec quel respect, mêlé de terreur, ma pauvre nounou prononçait ce mot !

Sans doute, avant ma venue, des mois, où le père dissipait sa paye, il y avait eu des retards dans le paiement des termes, des explications pénibles, dont la chérie gardait une rancœur et une angoisse pour l’avenir ; et elle avait aussi une admiration naïve et résignée devant cette puissance : la propriétaire !…

Quelquefois, je la voyais, elle-même, dans le jardin, cette redoutable personne. Elle descendait les quelques marches de son seuil et s’avançait, d’un air digne, les mains posées l’une sur l’autre à la hauteur de son estomac.